Fokonolona rénové, quelle étape intermédiaire ?

Vivre bien ensemble à Madagascar et partout sur notre planète commune : un débat ouvert à tous et toutes.

Le 11 Novembre 2009

 

À tous les partisans du Fokonolona : unissons-nous.


Bonjour Célestin (Radison)

(Célestin est un Malgache qui a une énorme expérience de terrain sur le Fokonolona malagasy et qui fait actuellement une thèse aux USA sur le Fokonolona comme base stratégique du développement rural - corrige-moi Célestin si je me trompe)

 

Je suis d'accord avec toi sur les valeurs profondes du Fokonolona malagasy. Je suis d'accord avec toi qu'on a pas besoin de rénover la sagesse éminemment malagasy contenue dans les fokonolona. Je suis d'accord avec toi que ce sont eux plutôt qui nous apprennent et qui vont nous apprendre beaucoup de choses. Le projet Fokonolona rénové est fondé sur toutes ces valeurs extraordinaires et profondes du peuple malgache organisé en fokonolona. Comme toi, nous prenons le Fokonolona comme base stratégique de développement du peuple malgache et pour réduire cette pauvreté rurale.

 

Mais excuse-moi de te faire constater amicalement que tu te contredis. Tu soutiens clairement que le statut actuel des fokonolona est suffisant. Mais en même temps tu t'étonnes qu'ils n'ont pas droit au foncier suivant notre système avec régime domanial et coutumier ; que dans la région Analamanga, il y a une commune qui, 90% de la superficie totale, est titrée au nom de l'État français ; que le régime domanial a instauré une loi protégeant les acquis des colons prorogée par la législation actuelle qui protège le "privé" par la loi. Tous ces faits néfastes aux paysans et au peuple malgaches sont absolument légaux. Ils traduisent la logique globale, mondiale, néolibérale, dans laquelle ON veut intégrer Madagascar. Ils prouvent clairement que, ou bien nos dirigeants décideurs obéissent à d'autres "impératifs" au détriment du peuple malgache, ou bien les fokonolona ne sont pas dotés d'une clause légale ou constitutionnelle pour se défendre contre tout prédateur, ou bien les deux à la fois. Dans ces trois cas, les fokonolona ont besoin d'un outil efficace légal, voire constitutionnel - une rénovation - pour parer à toutes les éventualités. Sans quoi, les faits que tu dénonces, Célestin, ne feront que se multiplier et se généraliser, et j'en fais un pari.

 

J'en fais un pari, car Madagascar devient aujourd'hui un objet - une proie -, de plus en plus voire fortement convoité par tous les dominants prédateurs extérieurs. Entre autres stratégies de domination-prédation (dont la concurrence entre puissants et faibles), les néolibéraux cherchent à pénétrer à Madagascar par le foncier, justement. Comment ? Soit en achetant directement (la location à contrat de longue durée en fait partie), ce qui s'avère heureusement encore très difficile à Madagascar grâce au "hasin'ny tanindrazana" familial ; soit en forçant d'une manière ou d'une autre les petits propriétaires terriens à un contrat vertical (entre un puissant fortuné et un faible dans le besoin) d'emprunt à gage, le foncier constituant justement la caution. C'est ça la réalité du néolibéralisme. Dans ce processus de domination-prédation, le paysan deviendra un éternel esclave (mitatatra hoan-dRainilaizafy), sinon le prédateur s'appropriera le foncier si le paysan n'en pourra plus. Une expropriation légale car stipulée en filigrane dans le contrat. Et ce sera le gendarme malgache qui viendra déloger le paysan malgache qui n'aura pas honoré son contrat.

 

Ce processus de domination-prédation ne peut se réaliser que dans un pays dit "stable". Bekoto, en Réunion Internationale sur l'Economie Sociale à Chamonix (France), traduit bien le ton des grands prédateurs mondiaux quand il dit dans son message que le Discours sur Economie Sociale et Prêt dans les pays à risque ( ou en Guerre ) reste le fond du débat ici. Décriptons : cela veut dire que les fonds prédateurs veulent imposer deux conditions précises : un régime politique pyramidal (qui permette donc la corruption du sommet de la pyramide et l'écrasement de la base populaire qui pourrait se révolter), et la stabilité de cette pyramide (quitte à instaurer la dictature s'il le faut). Aujourd'hui où les prédateurs extérieurs sont ultra puissants, aucune personnalité malgache et aucun groupement clanique malgache (de clan : groupement hostile ou concurrentiel contre d'autres clans) ne pourront faire face à ce processus, à ce rouleau compresseur du néolibéralisme prédateur. Personnellement, je ne jette pas la pierre à nos dirigeants malgaches, tombés dans le piège ou qui se laissent tomber dans le piège néolibéral faute de trouver une parade efficace.

 

Car la seule parade réelle, c'est le Fokonolona rénové. Celui-ci sera efficace ET pour faire reculer les prédateurs extérieurs, ET pour se sortir de la misère noire actuelle, ET pour s'auto-former dans le développement humain à partir de la sagesse éminemment malagasy des fokonolona.

 

Des voix s'élèvent qu'il faut une ou des étapes intermédiaires. Bien sûr, mais quelle étape ? Trois propositions sont avancées.

1/ L'étape "foncier" dont tu es partisan, Célestin. C'est le développement foncier d'abord, les autres développements suivront.

2/ L'étape "éducation populaire sur les richesses naturelles malgaches et sur le comment les exploiter". Etant "mangetaheta ambony lakana", et en sachant que l'eau désaltérante se trouve à portée de main, les Malgaches vont en boire. Et dans la foulée, ils vont y trouver de quoi satisfaire tous leurs besoins.

3/ L'étape "auto-secours" du peuple par le peuple, au moyen du fokonolona. C'est la première phase du deuxième grand pas dans la rubrique QUATRE GRANDS PAS À FRANCHIR décrits dans notre projet Fokonolona rénové, voir :

www.fokonolona-renove.org paragraphes 64 à 71. Voir aussi dans la rubrique INITIATIVES CONCRETES l'article MAMIHAITY, une expérience à résultat positif faite à Ambatofinandrahana entre 1993 et 1996.

Les deux premières propositions concernent des biens naturels hautement convoités par les prédateurs extérieurs. Ceux-ci mettrons certainement des difficultés insurmontables, en connivence directe ou indirecte avec nos décideurs locaux, dans la réalisation de ces étapes-là. Tu reconnais par aileurs, Célestin, qu'il faudra une stratégie d'ensemble, et non une stratégie sur un seul domaine.

La troisième proposition, s'auto-secourir, ne touche pas directement aux biens convoités. Mais elle constitue surtout un droit inaliénable, légitime et mondialement légal : se secourir. Qui empêcherait un enfant de se débattre pour se sortir de l'eau dans laquelle il mourrait sinon. Ajoutons-y le devoir impératif de tous d'assistance à personne en danger. Et c'est le cas des 20 à 30% de la population malgache, des personnes en danger vital mais non signalées par les médias ni par les gouvernants. L'auto-secours malgache sera optimalisé par la triple action en boucles permanentes "miara-mitady, miara-manapaka, miara-mandroso" (chercher ensemble, décider ensemble, progresser ensemble). L'auto-secours sera d'autant plus efficace que l'élite malgache donnera aux fokonolona l'info et le conseil technique adéquats. Mais l'auto-secours échouera fatalement si une autorité "supérieure" l'empêchera ou l'entravera par un veto légal ou constitutionnel, autrement dit si l'auto-secours décidé par les fokonolona ne sera pas souverain. Ces trois conditions fondent le trépied du Fokonolona rénové.

Une fois rodés dans l'auto-secours, pourquoi dans la foulée les fokonolona ne continueraient-ils pas à la phase d'auto-développement humain, intégrant forcément l'exploitation rationnelle des richesses naturelles malgaches, y compris le foncier ?

De toute façon, les trois propositions ne s'excluent pas, elles peuvent être exécutées en même temps, elles ne s'opposent pas du tout les unes les autres. Et nous ne pourrons qu'être beaucoup plus fort pour le présent et pour l'avenir du peuple malgache, en étant ensemble. Alors, je vous convie à mettre nos différences non en concurrence mais en synergie. Et tout de suite.

 

" Faut-il combattre le système? Faut il avoir tous les pouvoirs pour le faire?" - Évidemment, Célestin, mais d'une manière pacifique et autant que possible, légal. La rénovation du Fokonolona entraînera un changement de régime politique et de système social, du pyramidal à l'horizontal. Il est évident que tous les pyramidalistes, c'est-à-dire tous ceux et celles détenant le pouvoir pyramidal actuel et qui y trouvent des intérêts corruptifs faramineux, vont évidemment s'opposer à cette rénovation. Mais le Fokonolona bien informé (premier GRAND PAS de notre projet Fokonolona rénové) aura la puissance suffisante pour s'imposer légitimement et légalement et se réaliser pacifiquement.

 

Bien à toi Célestin.

 

Joseph

 

Le 10 Novembre 2009

 

Joseph,

 

 

 

Merci pour l'explication scientifique de la sociobiologie apparentée à l'institution Fokonolona.

 

Je pense fermement qu'avec la pratique et les expériences que j'ai eues avec le Fokonolona, ce sont eux qui m'ont appris beaucoup de choses. Maintenant je ne fais que la transcription sur papier du fin fond de leur pensée. L'essence même du Fokonolona ne peut se formater dans un petit écrit comme le mien tant sa richesse et la profondeur de son esprit se puise dans une sagesse éminemment malagasy qu'on n'a pas besoin de rénover.

 

Pratiquer le Fokonolona comme base stratégique de développement, c'est l'objectif de mon travail pour réduire cette pauvreté rurale.

 

La contradiction fondamentale chez les paysans est le foncier. Or ils n'ont pas droit au foncier suivant notre système avec régime domanial et coutumier.

 

Par une approche stratégique, j'essaie de comprendre l'environnement du foncier. J'ai appris que dans la région Analamanga, il y a une commune qui, 90% de la superficie totale, est titrée au nom de l'État français. Comment le Fokonolona de cette localité peut se prévaloir en ayant tous les pouvoirs, d'agir en tant que tel pour recouvrer leur droit au foncier sans une stratégie d'ensemble? Faut-il combattre le système ? Faut-il avoir tous les pouvoirs pour le faire? Dans la même foulée, le régime domanial a instauré une loi protégeant les acquis des colons prorogée par la législation actuelle qui protège le"privé" par la loi que tu as citée. Et que la procédure de ce régime domanial est régie par la loi de parcimonie en pratique : il faut 3500 ans pour couvrir l'immatriculation foncière du pays avec le rythme actuel.

 

Il faut aussi commencer par un bout et pour moi c'est le foncier. Je suis revenu par le foncier par la définition d'une taille optimale et je conclus par le Fokonolona qui sera l'acteur principal de ma stratégie par une approche territoriale.

 

La construction sociale, ce n'est pas seulement les travaux collectifs, c'est aussi les actions individuelles qui structurent la réalité paysagère de notre vécu quotidien. C'est un indicateur fort sans monnayage de l'évolution socioéconomique de notre société rurale.

 

Au plaisir de te lire Joseph!
Et au Namana Bekoto

 

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